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Prenons l'exemple d'une petite entreprise canadienne étroitement liée au marché américain, que ce soit en exportant des marchandises ou en s'appuyant sur les importations pour répondre à la demande des clients. Les affaires se portent bien, jusqu'à ce qu'un tarif douanier sur les marchandises canadiennes et américaines fasse brusquement grimper les coûts. Les entreprises sont alors confrontées à un choix difficile : augmenter les prix et risquer de perdre des clients ou absorber les coûts et voir les marges se réduire ?
Pour cette entreprise, l'effet est le même : la baisse des ventes et des bénéfices signifie moins de possibilités et d'incitations à se développer, à investir ou à embaucher davantage de travailleurs. Ce dilemme n'est pas unique, car de nombreuses PME canadiennes sont aujourd'hui confrontées à une incertitude croissante en raison des tarifs douaniers imminents entre les États-Unis et le Canada.
« Le principal risque et la principale incertitude sont la menace de tarif douanier de 25 %. 90 % de notre production est destinée aux États-Unis. Si les tarifs douaniers sont effectivement appliqués, toutes les prévisions seront réduites à néant. Nous répercuterons les droits de douane sur les prix, mais cela prendra du temps. »
- Entreprise agricole en Ontario
Le commerce entre le Canada et les États-Unis : un partenariat vital
Les relations commerciales du Canada avec les États-Unis sont sans pareilles, renforcées par les dispositions d'exemption tarifaire de l'Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM). En 2023, environ la moitié (49,5 %) des importations du Canada provenaient des États-Unis, tandis qu'environ trois quarts (77 %) de ses exportations y étaient destinées[1]. Les PME ont contribué à environ 40 % des exportations canadiennes vers les États-Unis et représentaient 97 % des entreprises exportatrices. Du côté des importations, les PME représentaient 42 % de la valeur commerciale et 98 % des entreprises importatrices. [2]
Cette relation commerciale profondément intégrée est essentielle pour les deux économies. En 2023, les États-Unis accuseront un déficit commercial de 41 milliards de dollars américains (environ 60 milliards de dollars canadiens) avec le Canada, ce qui représente environ 0,2 % du PIB nominal des États-Unis[3]. Parmi ses principaux partenaires commerciaux - le Canada, le Mexique, la Chine et l'Allemagne - c'est avec la Chine que le déficit est le plus important, mais le Canada et le Mexique arrivent en tête pour le volume global des échanges, ce qui renforce la forte intégration économique de la région nord-américaine.
Parmi les principaux partenaires commerciaux des États-Unis en 2023, le Canada affiche un volume d'échanges élevé et le déficit le plus faible (en milliards de dollars)
Source : Calculs de l'auteur à partir du U.S. Census Bureau, U.S. Trade in Goods and Services by Selected Countries and Areas, 1999-present [uniquement en Anglais].
Le secteur de l’énergie est une pierre angulaire de ce commerce bilatéral. Les produits énergétiques représentaient un quart des importations américaines en provenance du Canada en 2023. En tant que plus grand fournisseur d’importations énergétiques américaines – notamment de pétrole brut, de gaz naturel et d’électricité [4] – le Canada assure la stabilité d’une industrie clé, ce qui en fait un facteur majeur dans les discussions commerciales en cours. Les PME jouent un rôle important dans ce secteur, contribuant à hauteur de 35,6 milliards de dollars aux 116 milliards de dollars d'exportations totales de l'industrie pétrolière et gazière, soit 31 % de la valeur des exportations du secteur. Bien que les grandes entreprises dominent en termes de volume d'exportation, les PME représentent 88 % des entreprises exportatrices du secteur.[5] L'industrie de l'extraction du pétrole et du gaz dépend fortement du marché américain, puisque 74 % de sa production y est exportée.[6] L’importance de ce commerce de l’énergie va au-delà des chiffres économiques : il soutient un vaste réseau de raffineries et d’infrastructures connexes, fournissant des milliers d’emplois au Canada et aux États-Unis.
Sans ces exportations d'énergie, la valeur totale des exportations canadiennes vers les États-Unis diminuerait fortement, tandis que les importations américaines, composées de produits finis de grande valeur, de machines et de technologies resteraient relativement stables. Cela entraînerait un déficit commercial pour le Canada.
De plus, la quasi-parité dans des secteurs comme les véhicules automobiles et les machines industrielles met en évidence l'intégration profonde des deux économies, en particulier dans le secteur manufacturier. En 2023, plus de 65 % des exportations canadiennes vers les États-Unis et près de la moitié des exportations américaines vers le Canada étaient des biens intermédiaires, c’est-à-dire des intrants essentiels à la production [7]. Il s’agit notamment de produits comme le bois d’œuvre utilisé pour fabriquer des produits tels que des meubles qui sont ensuite vendus à d’autres clients. Les tarifs douaniers sur les biens intermédiaires se répercutent sur les chaînes d’approvisionnement, gonflant les coûts, réduisant la productivité et augmentant les prix à l’échelle de l’économie des deux pays.
« Notre industrie fournit des matières premières et des produits finis destinés à la fabrication et à l'assemblage aux États-Unis, qui font partie des produits importés au Canada. Nos coûts et nos prix de détail augmenteront. »
- Entreprise de commerce de détail en Colombie Britannique
Le commerce de l'énergie domine le commerce entre le Canada et les États-Unis, tandis que la quasi-parité dans des secteurs clés met en évidence l'intégration et l'interdépendance économiques profondes en 2024 (en milliers de dollars
Source : Calculs de l'auteur à partir de Statistique Canada. Tableau 12-10-0175-01 Commerce international de marchandises par province, par produit et les principaux partenaires commerciaux (x 1 000)
L'impact imminent des des tarifs douaniers américains sur les PME canadiennes
Cette chaîne d’approvisionnement interconnectée rend les entreprises canadiennes particulièrement vulnérables aux changements de politique commerciale. Conscients de ce fait, nous avons sondé les PME en décembre 2024 afin d’évaluer l’impact anticipé des tarifs douaniers entre les États-Unis et le Canada. Face à la menace de tarifs américains et et à d'éventuelles mesures de rétorsion, 82 % des entreprises canadiennes qui commercent avec les États-Unis prévoyaient des répercussions importantes. Nombre d'entre elles prévoyaient une augmentation des coûts et des prix pour les consommateurs canadiens, la perte potentielle de clients ou de contrats américains, et envisageaient d'avoir recours à d'autres fournisseurs.
Deux mois plus tard, alors que les droits de douane n’ont pas encore été imposés, l’incertitude entourant les restrictions commerciales potentielles fait déjà des ravages. Plus de la moitié des entreprises canadiennes qui font du commerce avec les États-Unis étant modérément ou fortement dépendantes du marché américain, l'imminence des tarifs douaniers est devenue un sérieux défi. De nombreuses entreprises estiment qu’il leur faudra six mois ou plus pour s'orienter vers de nouveaux fournisseurs (27 %) ou de nouveaux marchés (50 %), ce qui témoigne de la difficulté de s'adapter à un écosystème commercial hautement intégré.
Nous sommes une entreprise technique très spécialisée. Toutes les pièces que nous utilisons sont fabriquées aux États-Unis. Il n’y a pas d’autres fournisseurs. Aucune de ces pièces n’est fabriquée au Canada. Nous dépendons du revenu discrétionnaire de nos clients et il serait inacceptable pour eux d'ajouter 25 % au coût total. Cela détruirait notre entreprise.
- Entreprise de commerce de détail en Nouvelle-Écosse
Les répercussions économiques sont deviennent évidentes : près d'un tiers des PME ont subi une hausse des coûts, en partie due aux perturbations de la chaîne d'approvisionnement et à l'affaiblissement du dollar canadien, et plus d'un quart d'entre elles font état d'une baisse de la demande. Les exportateurs ressentent la pression de manière plus aiguë : 39 % d’entre eux sont confrontés à une baisse de la demande des clients et 34 % doivent déjà faire face à des contrats annulés ou reportés, car les partenaires commerciaux sont de plus en plus prudents et se protègent contre les risques futurs. Les entreprises sont donc confrontées à des coûts plus élevés, à une compétitivité réduite et à des bénéfices en baisse.
La perspective de tarifs douaniers entre les États-Unis et le Canada ajoute à l'incertitude. L'augmentation des coûts rendrait les produits canadiens moins compétitifs, ce qui inciterait les acheteurs américains à chercher des alternatives moins chères, accélérant ainsi la baisse des commandes. Les entreprises exportatrices pourraient être contraintes de baisser leurs prix, de réduire leur production ou de se tourner vers d'autres marchés - un ajustement qui prend du temps et qui rend beaucoup d'entre elles vulnérables à court terme. Pour les importateurs, les tarifs douaniers sur les produits américains augmenteraient considérablement les coûts d'importation, obligeant les entreprises à absorber l'impact ou à le répercuter sur les consommateurs, ce qui entraînerait des hausses de prix. La capacité d'adaptation varie selon le secteur et les conditions contractuelles, ce qui laisse peu de marge de manœuvre à certaines entreprises.
Les secteurs qui importent et exportent sont les plus exposés, car l'augmentation des coûts, les perturbations de la chaîne d'approvisionnement et la diminution de la demande menacent de remodeler le commerce transfrontalier. Pour certains, cela pourrait être l'occasion de se diversifier et de réduire leur dépendance à l'égard du commerce américain, tandis que d'autres auront plus de mal à s'adapter. Quelle que soit la stratégie adoptée, les mois à venir mettront à l'épreuve la capacité de résistance des PME canadiennes dans un paysage économique en pleine mutation.
« À ce jour, des commandes d'une valeur de 1,6 million de dollars ont été mises en attente jusqu'à ce qu'il y ait une indication claire qu'il n'y aura pas de droits de douane. »
- Entreprise manufacturière au Manitoba
« Notre plus grand défi actuellement est le taux de change du dollar ! Dans notre secteur, la plupart des articles passent par les États-Unis avant d'arriver au Canada - cela fait grimper les coûts. »
- Entreprise de commerce de détail en Colombie-Britannique
De nombreuses entreprises ont déjà connu des coûts plus élevés et une demande plus faible en raison de la situation tarifaire
Source : FCEI, Sondage sur l'impact de la situation tarifaire entre les États-Unis et le Canada sur les entreprises, mené en ligne du 6 au 13 février 2025. Au total, 2 510 membres de la FCEI propriétaires d'entreprises indépendantes canadiennes, de tous les secteurs et de toutes les régions du pays, ont répondu à la question ci-dessus. À des fins de comparaison, un échantillon probabiliste comportant le même nombre de répondants aurait une marge d'erreur de +/- 1,96 %, 19 fois sur 20.
Question : Quels changements la situation des tarifs douaniers américains et canadiens a-t-elle entraînés pour votre entreprise? (Sélectionner toutes les réponses pertinentes)
Remarque: Les termes « importateurs » et « exportateurs » désignent les entreprises commerçant avec les États-Unis, que ce soit directement ou indirectement, y compris celles impliquées à la fois dans l’importation et l’exportation.
Comment les entreprises réagissent ou prévoient de réagir à l'incertitude tarifaire
En réponse aux discussions tarifaires douanières en cours, les entreprises canadiennes ajustent leurs stratégies pour atténuer les risques et maintenir la stabilité. Près de la moitié d'entre elles (44 %) cherchent d'autres fournisseurs pour diversifier leurs chaînes d'approvisionnement et réduire leur dépendance, tandis que 23 % ont retardé ou annulé leurs projets d'expansion, ce qui témoigne d'une approche plus prudente en matière d'investissement en capital. Les ajustements en matière de main-d'œuvre sont également notables, 19 % des entreprises ayant réduit leurs effectifs pour faire face à la hausse des coûts. En outre, 18 % des entreprises cherchent à diversifier leur marché ou à obtenir des conseils externes pour renforcer leur position concurrentielle (19 %).
En réponse aux négociations tarifaires, les PME se concentrent sur la recherche de nouveaux fournisseurs, renoncent à leurs projets d'expansion et réduisent leurs effectifs
Source : FCEI, Sondage sur l'impact de la situation tarifaire entre les États-Unis et le Canada sur les entreprises, mené en ligne du 6 au 13 février 2025. Au total, 2 510 membres de la FCEI propriétaires d'entreprises indépendantes canadiennes, de tous les secteurs et de toutes les régions du pays, ont répondu à la question ci-dessus. À des fins de comparaison, un échantillon probabiliste comportant le même nombre de répondants aurait une marge d'erreur de +/- 1,96 %, 19 fois sur 20.
Question : Parmi les mesures suivantes, lesquelles prenez-vous ou envisagez-vous pour faire face à la situation des tarifs douaniers É.-U.-Canada? (Sélectionner toutes les réponses pertinentes)
Ces mesures reflètent la pression croissante exercée sur les entreprises pour qu’elles s’adaptent et renforcent leur résilience dans un environnement commercial en constante évolution. L’incertitude entourant la politique commerciale amplifie les risques et ralentit la croissance, non seulement pour les industries liées aux chaînes d’approvisionnement américaines, mais aussi pour celles qui dépendent de la confiance des consommateurs et d’un climat économique stable. Les dépenses discrétionnaires diminuent souvent en période d’instabilité et, lorsque la confiance faiblit, l’économie dans son ensemble en ressent les effets. Pour les décideurs politiques, le défi consiste à contenir ces coûts par des mesures ciblées qui stabilisent l’environnement des affaires et favorisent la diversification.
« Cela augmentera le coût des affaires. Le Canada doit s’efforcer d’être plus autonome et de pouvoir répondre aux besoins du pays à l’échelle nationale sans avoir à sous-traiter à l’étranger. Le gouvernement canadien devrait investir pour soutenir les entreprises canadiennes afin qu’elles puissent produire ce qu’elles peuvent. »
- Entreprise de construction en Ontario
Recommandations pour la stratégie commerciale du Canada
Les gouvernements canadiens doivent adopter une réponse unifiée et proactive pour atténuer les dommages causés aux entreprises et à l’économie et devraient se concentrer sur les points suivants :
Voici quelques mesures de politique publique qui pourraient être mises en œuvre :
- Concentrer les efforts sur la création d’un environnement commercial plus fort et plus compétitif pour les PME en accordant la priorité aux réductions d’impôt , en s’attaquant aux réglementations excessives et en encourageant les provinces à éliminer les barrières commerciales interprovinciales en adoptant une politique de reconnaissance mutuelle .
- Aider les petites entreprises à s'orienter vers de nouveaux marchés en veillant à ce que les services et les programmes commerciaux (par exemple, le SDC, EDC) soient accessibles aux PME, car ces services restent sous-utilisés par les propriétaires de petites entreprises.
- Veiller à ce que les programmes d'allégement, tels que les initiatives de remise tarifaire, soutiennent également les PME touchées par les tarifs douaniers.
- Étendre et promouvoir le programme de partage du travail pour aider les PME à conserver leurs employés pendant les périodes de réduction de l’activité commerciale causée par les répercussions des tarifs douaniers.
- Consulter régulièrement les PME et les organisations comme la FCEI pour s'assurer que les réponses du gouvernement tiennent compte de leurs besoins.
[1] Statistique Canada. Tableau 12-10-0175-01 Commerce international de marchandises par province, par produit et les principaux partenaires commerciaux (x 1 000) et Congressional Research Service Report. US-Canada trade relations, February 13, 2025, https://crsreports.congress.gov/product/pdf/IF/IF12595 [uniquement en Anglais].
[2] Statistique Canada. Tableau 12-10-0095-01 Commerce des biens selon les caractéristiques des exportateurs, selon le niveau d'emploi de l'entreprise et le pays de destination; Statistique Canada. Tableau 12-10-0108-01 Commerce des biens selon les caractéristiques des importateurs, selon le niveau d'emploi de l'entreprise et le pays d'origine
[3] Bureau of Economic Analysis, Gross Domestic Product, Fourth Quarter and Year 2023 (Second Estimate). https://www.bea.gov/news/2024/gross-domestic-product-fourth-quarter-and-year-2023-second-estimate [uniquement en Anglais].
[4] Congressional Research Service Report. US-Canada trade relations, February 13, 2025. https://crsreports.congress.gov/product/pdf/IF/IF12595 [uniquement en Anglais].
[5] Statistique Canada Table 12-10-0094-01 Trade in goods by exporter characteristics, by enterprise employment size and industry Tableau 12-10-0094-01 Commerce des biens selon les caractéristiques des exportateurs, selon le niveau d’emploi et l’industrie de l’entreprise
[6] Statistique Canada. Le Quotidien. Produit intérieur brut par industrie, novembre 2024. https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/250131/dq250131a-fra.htm
[7] Statistique Canada. Tableau 12-10-0143-01 Le commerce international de marchandises selon les grandes catégories économiques et les soixante principaux partenaires commerciaux (x 1 000)
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Francesca Basta, « Naviguer à travers les tarifs douaniers imminents entre les États-Unis et le Canada: Comment les PME canadiennes anticipent et se préparent à leurs impacts », FCEI, Blogue Perspective PME, 17 février 2025, https://www.cfib-fcei.ca/fr/rapports-de-recherche/naviguer-a-travers-les-tarifs-douaniers-imminents-entre-les-etats-unis-et-le-canada.
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