Chronique juridique | La détresse psychologique et l’emploi : un mariage parfois difficilement conciliable? | FCEI
Mes Deborah Furtado et Rhéaume Perreault, Fasken Martineau DuMoulin
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu’en 2020, la dépression se classera au 2e rang des incapacités au travail. Chaque année, l’impact de cette détresse psychologique coûte près de 30 milliards de dollars à l’économie canadienne. Face à cette détresse, qu’est-ce qu’un employeur doit savoir au minimum? Bien évidemment, les employeurs doivent être en mesure de bien réagir face à un cas de détresse psychologique. Le présent texte vise uniquement à identifier certains éléments que tout gestionnaire doit connaître et n’est aucunement exhaustif.
Détresse psychologique et « handicap » ?
La détresse psychologique est-elle un handicap au sens de la Charte des droits et libertés de la personne (la « Charte québécoise ») nécessitant une obligation d’accommodement de l’employeur? D’emblée, lorsqu’un salarié s’absente du travail pour cause de détresse psychologique pendant une longue durée, et ce, sans possibilité apparente de retour au travail, l’employeur peut légitimement mettre un terme à l’emploi de ce dernier. Il doit néanmoins tenir compte des articles 10 et 16 de la Charte québécoise qui interdisent toute discrimination fondée sur un motif interdit, en l’occurrence le handicap.
La Charte québécoise ne contient aucune définition de ce que constitue un handicap. On doit dès lors se rapporter à celle donnée par la Cour suprême du Canada1 qui définit le handicap comme étant une limitation physique, une affection, une construction sociale, une perception de limitations ou d’une combinaison de tous ces facteurs.
Les caractéristiques communes à toute invalidité d’ordre mental, comprenant la détresse psychologique, se résument ainsi :
- Empêche la personne atteinte d’exécuter des fonctions pouvant être exécutées normalement par la majorité des gens.
- De nature continue (par opposition au caractère temporaire).
- Hors du contrôle de la personne.
Ainsi, si la détresse psychologique affecte d’une façon continue la performance ou le fonctionnement quotidien au travail d’un salarié, cette condition pourra être considérée comme une invalidité mentale, et donc un handicap au sens de la Charte québécoise, nécessitant un accommodement de l’employeur jusqu’à une contrainte excessive.
Comprendre l’obligation d’accommodement
Un employeur doit accommoder un salarié qui a un handicap. Les accommodements peuvent être multiples : aménagement physique du poste de travail, horaires à temps partiel, attribution d’un nouveau poste, etc. Cependant, en cas d’absentéisme chronique, si l’employeur démontre que, malgré les accommodements, le salarié ne peut reprendre son travail dans un avenir raisonnablement prévisible, il aura satisfait à son fardeau de preuves et établi l’existence d’une contrainte excessive. La fin d’emploi découle alors davantage de l’incapacité du salarié de remplir ses obligations fondamentales rattachées à la relation de travail, c’est-à-dire de fournir une prestation de travail assidue, que de son handicap.
Bref, l’employeur doit faire un effort raisonnable pour maintenir le lien d’emploi. Certes, le niveau d’effort doit être analysé cas par cas et le point de départ de l’analyse concernant les efforts fournis par l’employeur se situe à compter de la première mesure d’accommodement et non à compter de la fin d’emploi.
Enfin, soulignons que lorsque l’employeur a un doute sur le diagnostic d’un salarié ou qu’il est incapable d’en venir à une entente avec celui-ci (ou le syndicat, le cas échéant) sur une mesure d’accommodement, il peut toujours recourir à une expertise médicale. Elle permettra notamment d’obtenir un pronostic de retour au travail grâce auquel l’employeur saura si le salarié est en mesure de fournir une prestation de travail soutenue dans un avenir prévisible.
Quelques cas jurisprudentiels impliquant des salariés ayant des troubles psychologiques
Dans l’affaire Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Société de portefeuille du groupe Desjardins2 , un médecin recommande un retour au travail progressif durant une période de deux mois à une salariée en arrêt de travail en raison d’un syndrome anxio-dépressif temporaire. L’employeur a consenti à un retour progressif, mais seulement pour une période de 2 semaines. Au terme de ces deux semaines, la plaignante a déposé une plainte à la Commission des droits de la personne. Le Tribunal des droits de la personne a conclu que l’obligation d’accommodement sans contrainte excessive suppose qu’une certaine contrainte est acceptable et que l’employeur doit faire plus que de simples efforts négligeables. Le Tribunal indique que l’employeur n’a pas rempli son obligation d’accommodement puisque le retour progressif au travail de la plaignante pendant une période de deux mois plutôt que deux semaines ne nécessitait que peu d’efforts supplémentaires pour l’employeur.
Dans l’affaire Centre hospitalier de l’Université de Montréal, pavillon Hôtel-Dieu et Syndicat des infirmières et infirmiers de l’Hôtel-Dieu3 , un infirmier présentant des problèmes d’anxiété chronique a été congédié en raison de son absentéisme élevé et de son invalidité à fournir une prestation de travail normale et régulière dans un avenir prévisible. L’arbitre a retenu de la preuve d’experts de l’employeur qu’une rechute était prévisible dans un proche avenir et considéra qu’il était impossible en l’espèce pour l’employeur d’accommoder le plaignant sans contrainte excessive.
Points à retenir
- La détresse psychologique est un handicap au sens de la Charte québécoise et l’employeur a une obligation d’accommodement à cet égard.
- Même si un salarié est apte au travail au moment du congédiement, le congédiement pourra être maintenu s’il existe une improbabilité médicale que le salarié soit en mesure de fournir une prestation de travail soutenue de façon régulière en raison de sa détresse psychologique.
- L’employeur qui congédie un salarié apte au travail et en mesure de fournir une prestation de travail soutenue de façon régulière s’expose à une plainte (ou un grief, le cas échéant) de congédiement sans cause juste et suffisante devant les tribunaux et à une plainte devant le Tribunal des droits de la personne et de la jeunesse pour violation de la Charte québécoise.
1.Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), c. Montréal (Ville de), [2000] 1 R.C.S. 665.
2.Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Société de portefeuille du groupe Desjardins [1997] R.J.Q. 2049 (T.D.P.).
3.Centre hospitalier de l’Université de Montréal, pavillon Hôtel-Dieu et Syndicat des infirmières et infirmiers de l’Hôtel-Dieu, [1999] R.J.D.T. 1494 (T.A.).
Me Rhéaume Perreault
Rhéaume Perreault est reconnu comme étant l’un des meilleurs avocats dans le domaine du droit du travail et de l’emploi par le répertoire The Best Lawyers in Canada de Woodward/White depuis plusieurs années. Il est diplômé en droit de l’Université du Québec à Montréal. Il est également détenteur d’un baccalauréat en relations industrielles de l’Université de Montréal.
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