Un frein évitable à notre prospérité collective

Lettre ouverte publiée dans La Presse, le 8 février 2025.

À l’heure où les tensions commerciales avec les États-Unis nous rappellent notre dépendance aux marchés extérieurs, il est plus que jamais essentiel de renforcer notre marché intérieur. Pourtant, une entrave demeure que nous avons créée de toutes pièces : les barrières interprovinciales.
On parle souvent de ces barrières comme s’il s’agissait uniquement de questions fiscales ou tarifaires. En réalité, elles sont bien plus nombreuses et insidieuses. Chaque province, chaque territoire et même certaines villes adoptent des règles, des règlements et des lois qui, par leur simple existence, créent des obstacles au commerce entre nous.

Prenons un instant pour en mesurer l’ampleur : transport, fabrication, protection du consommateur, emballage, étiquetage, matériaux utilisés, normes environnementales, permis requis, qualifications professionnelles reconnues… et la liste continue. Chacune de ces réglementations a été mise en place avec, au départ, une intention louable : protéger l’environnement, encadrer le commerce, assurer la sécurité du public ou encore préserver certaines spécificités locales.

Mais à chaque fois qu’une province adopte une nouvelle règle sans l’arrimer avec ses voisins, elle érige un mur invisible qui rend plus difficile la circulation des biens et des services à travers le pays.

Cette situation a un coût réel et significatif. Une étude de Deloitte en 2021 estimait que la suppression des barrières interprovinciales pourrait augmenter le PIB canadien de 3,3 %, soit environ 54 milliards de dollars. De plus, une analyse du Macdonald-Laurier Institute en 2022 évaluait que la libéralisation complète du commerce intérieur pourrait générer entre 75 et 140 milliards de dollars supplémentaires pour l’économie canadienne. Ces sommes colossales ne sont pas simplement théoriques : elles représentent des salaires plus élevés, du potentiel de croissance pour nos entreprises et une économie plus robuste.


Depuis des années, nous et plusieurs organisations économiques avons répété ce constat : le Québec ne doit pas se réglementer en vase clos. Ce principe ne signifie pas que nous devons renoncer à nos choix et à nos priorités, mais que nous devons les inscrire dans une vision plus large. Une réglementation qui diffère trop de celles des autres provinces finit par pénaliser nos propres entreprises, qui doivent jongler avec des exigences différentes d’un marché à l’autre.
Ce problème d’harmonisation ne se limite pas aux provinces : même les ministères, à l’intérieur d’un même gouvernement, peinent parfois à coordonner leurs réglementations lorsqu’elles touchent des juridictions différentes. Cette fragmentation se reflète aussi au niveau municipal. Par exemple, sur un dossier aussi important que l’environnement, le projet de loi 81 actuellement à l’étude pourrait modifier discrètement l’équilibre réglementaire en accordant aux villes une prérogative accrue pour adopter leurs propres règles, même si le gouvernement du Québec fixe déjà des normes globales. Un tel morcellement des politiques publiques crée de l’incertitude pour les entreprises et complique la mise en œuvre de stratégies cohérentes.

Ce problème est d’autant plus préoccupant que les analyses économiques qui accompagnent ces règlements sont souvent incomplètes. Elles prennent en compte leurs effets sur le Québec, mais rarement leur impact sur le commerce avec le reste du pays.

Or, il suffirait d’adopter un réflexe simple : avant d’adopter une nouvelle règle, qu’on se questionne sur sa cohérence avec celles des autres provinces et qu’elle ne vient pas ajouter un niveau de complexité supplémentaire.

Ce n’est pas un enjeu théorique ni une question secondaire. Dans un monde où nos entreprises doivent déjà composer avec des conditions économiques difficiles, leur imposer des obstacles supplémentaires à l’intérieur même du Canada n’a aucun sens.

Si nous voulons bâtir une économie plus résiliente, capable de mieux résister aux chocs externes, commençons par faciliter les échanges entre nous. Il est temps que le Québec prenne ce virage et que l’ensemble du pays adopte cette approche avec la même conviction.

Nos entreprises sont prêtes. Nos organisations économiques continueront de plaider en ce sens. Il ne reste plus qu’aux gouvernements d’en faire une priorité.

*Cosignataires : Karl Blackburn, président et chef de la direction, Conseil du patronat du Québec (CPQ) ; Sylvie Cloutier, présidente-directrice générale ; Conseil de la transformation alimentaire du Québec (CTAQ) ; François Vincent, vice-président Québec, Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) ; Julie White, présidente et directrice générale, Manufacturier et exportateur du Québec (MEQ) ; Véronique Proulx, présidente-directrice générale, Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ) ; Marc Cadieux, président-directeur général, Association du camionnage du Québec