Les entrepreneurs paient la facture d’une réservation sur cinq

Lettre ouverte publiée dans La Presse le 18 juillet 2024.


Ah, l’été québécois! La saison où chaque journée est une invitation à l’aventure, où les festivals, les plages et les soirées entre amis promettent des souvenirs inoubliables. On le sait bien, l’été file à toute allure, et on ne veut rien manquer de ses délices éphémères!


Imaginez Marie et ses trois amies qui planifient une soirée gourmande. Trattoria italienne, restaurant japonais ou brasserie québécoise? Le choix est difficile. Elles réservent donc une table dans les trois établissements. Elles choisiront au gré de leurs envies du moment, le soir même. Pendant ce temps, James, qui rêve d’une escapade détente, envisage un massage au spa le samedi. Mais si le soleil brille de mille feux, direction la plage! Alors, pourquoi ne pas réserver une séance de détente au spa, juste au cas où le ciel se voilerait.


Cette liberté de choisir à la dernière minute, c’est une bouffée d’air frais dans notre quotidien bien rempli. Cependant, chaque fois qu’un client ne se présente pas à sa réservation sans avertissement, c’est une réalité moins festive qui se dessine pour les entrepreneurs qui s’étaient préparés à l’accueillir.


Sachant que le phénomène des « no-show » représente environ 20 % des réservations dans les restaurants  et qu’il constitue une tendance croissante dans les spas, il n’est guère étonnant que plus de la moitié des PME appuient l’idée d’autoriser les bars et les restaurants à demander un dépôt pour les réservations.


Lorsque Marie et ses amies optent pour la trattoria italienne, c’est le restaurant japonais et la brasserie qui restent sur leur faim, leurs tables réservées restant désespérément vides. « Ce n’est pas grave, d’autres clients prendront nos places », se dit-on. Mais la triste réalité, c’est que ces restaurateurs sont laissés dans l’expectative.


Quant à James, l’idée du massage au spa se dissipe aussitôt qu’il découvre un soleil éclatant le samedi matin. Gougounes aux pieds et crème solaire en poche, il s’en va à la plage! Pendant ce temps, le spa attend en vain, ayant réservé une massothérapeute spécialement pour lui. C’est une douche froide pour l’entrepreneur, qui doit assumer les frais sans obtenir le paiement du client.


Dans un contexte postpandémique, où chaque dollar compte dans la survie des entreprises, une réservation non honorée peut faire la différence entre être rentable ou non pour une PME.


Le véritable problème réside dans la Loi sur la protection du consommateur (LPC), qui empêche notamment les restaurateurs de demander un montant fixé à l’avance, soit des frais d’annulation, dans les cas où les clients ne se présentent pas. Cette restriction leur enlève la possibilité de compenser en partie les pertes causées par les no-show, mais surtout, elle les empêche de créer un incitatif qui motiverait les clients à honorer leurs engagements. Quant aux propriétaires de spa, eux, ils maintiennent le droit d’appliquer leurs politiques d’annulation puisque les frais facturés correspondent aux coûts et pertes réellement subis lors d’un no-show.


Exiger un dépôt non remboursable ne suffit pas à compenser les pertes liées à une table vide ou à un service de massothérapeute réservé pour rien. C’est avant tout une manière de sensibiliser les clients aux conséquences de leurs actions afin de limiter les réservations fantômes et de laisser la place à ceux qui auraient pu profiter des services offerts.


La LPC crée actuellement un déséquilibre inutile en ce qui concerne les réservations dans certains établissements. Autoriser la prise d’un dépôt permettrait de rétablir l’équilibre sans pour autant offenser les clients respectueux qui honorent leurs engagements ou annulent à l’avance leur réservation. Après tout, cette pratique devrait être perçue comme une norme de courtoisie et de respect mutuel, et non comme une exception.

Benjamin Rousse, analyste des politiques à la FCEI
Véronyque Tremblay, Présidente directrice-générale de l’AHQ et de l’AQS