Lettre ouverte publiée le 25 avril 2024 dans le Soleil , la Presse, ainsi que dans le Journal de Montréal.
La définition du mot « innovation » dans le Larousse se lit ainsi : « Processus d'influence qui conduit au changement social et dont l'effet consiste à rejeter les normes sociales existantes et à en proposer de nouvelles ».
C’est précisément ce qu’il manque dans le régime de distribution et de production d’alcool au Québec, incluant le maintien du monopole de la SAQ, protégé invariablement par les gouvernements en place peu importe leur couleur ou leurs engagements électoraux. La machine gouvernementale réussit, mandat après mandat, à convaincre l’exécutif des bienfaits d’un monopole public, dont la seule justification aujourd’hui peut se résumer aux montants d’argent qu’il rapporte au gouvernement.
Ce statu quo qui perpétue un système archaïque créé en 1921 en réaction à la prohibition aux États-Unis, qui entrave l’essor des producteurs d’ici, des distributeurs et des restaurateurs, ne constitue pas la meilleure politique publique rentable pour la société.
L’exemple récent du restaurant Boire qui a été brièvement fermé uniquement en raison d’une règle floue et inutile (la proportion de nourriture achetée par bouteille de vin vendue ayant été jugée trop faible) démontre bien à quel point le système actuel freine l’innovation, les opportunités d’affaires et la variété de l’offre pour la clientèle.
Un récent sondage de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) montre que la majorité des dirigeants de PME québécoises désirent qu’on évalue les options pour ouvrir le marché. En effet, 72 % d’entre eux croient que les détaillants privés devraient pouvoir vendre les mêmes produits alcoolisés que la SAQ, 74 % pensent que les boissons alcoolisées vendues directement par les producteurs ne devraient pas être assujetties aux taxes et aux majorations de la SAQ. Enfin, 82 % estiment que la société devrait contribuer davantage à promouvoir les produits locaux dans ses succursales.
L’objectif n’est pas de privatiser la SAQ ou de l’abolir, mais simplement de permettre le développement d’une offre parallèle alternative.
On ne parle pas ici de prestation de services aux citoyens comme la santé ou l’éducation, ni d’un marché stratégique comme la production d’électricité. Il ne s’agit que d’un vendeur de vins et d’alcools! Est-ce vraiment le rôle de l’État?
Il faut comprendre que les alcools - autre que la bière et le cidre – sont imposés par quatre taxes distinctes (TPS, TVQ, taxe d’accise fédérale, taxe provinciale sur les alcools), en plus d’être frappés d’une majoration de 145 % en moyenne (marge brute) par la SAQ. Ces prix élevés découragent la consommation de qualité, gonflent les factures des restaurateurs et défavorisent le développement des produits fabriqués au Québec.
On peut très bien protéger le public contre les méfaits de l’alcool et générer des revenus fiscaux sans imposer un monopole, comme c’est le cas pour la cigarette ou la pollution par exemple.
Le régime actuel défavorise la production des viticulteurs et distillateurs québécois. Qui plus est, les règles désuètes de la Régie des jeux et des alcools desservent l’efficacité de leurs opérations (dont le transport), de même qu’elles entravent l’innovation chez les distillateurs.
Pourtant, tous ces producteurs locaux contribuent grandement à la vitalité économique et agro-touristique des régions, générant des retombées aux quatre coins du Québec et des revenus fiscaux pour les contribuables.
L’ouverture de boutiques spécialisées en vins et alcools élargirait le choix disponible aux consommateurs (tous ces très nombreux produits que la SAQ ne veut pas vendre), tout en offrant un service à la clientèle plus original, innovant et dynamique. On pourrait penser à une boutique spécialisée en whiskys ou en vins naturels par exemple. Cela faciliterait aussi la visibilité et la distribution de produits d’ici.
Le succès croissant des restaurateurs qui vendent du vin le témoigne: si les consommateurs les plébiscitent, c’est qu’ils y trouvent quelque chose (produit, service, découverte, conseil) que la SAQ n’offre pas. On le voit aussi chez toutes ces boutiques de microbrasseries et de vins québécois qui ont émergé partout au Québec. Pourquoi ne pas généraliser ce système aux autres produits?
Une telle ouverture stimulerait le dynamisme commercial local, avec là aussi des retombées fiscales pour les gouvernements. Sans oublier que cette saine concurrence amènerait la SAQ à devenir beaucoup plus efficace et à diminuer ses coûts de production.
L’art du bien-manger est en pleine effervescence au Québec. On le constate particulièrement dans le domaine du vin et des alcools par le niveau de connaissances et l’intérêt croissant des consommateurs envers les produits originaux et de qualité.
Il faut donc répondre à cet engouement par un système plus adapté et flexible, correspondant davantage aux goûts diversifiés et aux exigences de cette clientèle québécoise.
En résumé, il est plus que temps de réévaluer sérieusement l’ensemble du régime touchant la production et la distribution des alcools au Québec, y compris le monopole, plutôt que de rester sur un vieux modèle dépassé qui tue l’innovation.
François Vincent, vice-président, Québec, Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI)
Frédéric Laurin, Professeur d’économie spécialisé en développement régional, Université du Québec à Trois-Rivières, et chercheur à l’Institut de recherche sur les PME (INRPME)