Doit-on attendre un choc économique pour acheter local ?

Lettre ouverte publiée le 6 février 2025 dans le Journal de Montréal, Les Affaires et Le Soleil.

Il n’est de secret pour personne que la menace de l’imposition des tarifs douaniers avec les États-Unis génère, au-delà d’une inquiétude profonde pour la population et les entreprises, un élan vers l’achat local. 


Les appels à acheter québécois, à acheter canadien, à boycotter des produits américains se multiplient, inondant les réseaux sociaux, les discours de réactions, et un nombre croissant de conversations. Chacun veut riposter aux tarifs du président Trump et agir à son échelle. 


En réaction à cette guerre commerciale que vient de lancer notre voisin, renaît une solidarité, une fierté de nos produits et de nos entreprises d’ici. 


On se rappelle qu’acheter local, c’est possible. Mieux, qu’acheter local, c’est d’avoir le pouvoir. C’est d’agir pour se défendre face à l’ennemi.  


Il y a cinq ans, en pleine pandémie, l’achat local était aussi un enjeu mobilisateur pour sauver nos commerces. Se rendre dans sa librairie indépendante ou récupérer son colis auprès de son petit détaillant étaient alors des gestes assumés. 


Malheureusement, ces achats engagés s’effritent après quelques mois. On revient à nos habitudes d’aller magasiner dans les grandes enseignes américaines ou de faire nos achats en un clic sur les géants de la vente en ligne. 


Mais alors, pourquoi doit-on attendre des bouleversements économiques pour se tourner vers l’achat local ? Pourquoi cet engagement n’est que temporaire ? 


Le prix est souvent l’argument utilisé comme réponse. Pourtant, selon un sondage de la FCEI réalisé en décembre auprès des PME du Québec, 71 % des détaillants de proximité proposent des prix concurrentiels comparativement aux magasins à grande surface et aux géants de la vente en ligne. 
Par ailleurs, cette volonté de réagir à l’imposition de tarifs douaniers en achetant canadien, bien qu’elle soit louable, peut également être contre-productive. Il faut connaître la réalité et les nombreux pièges. En effet, les chaînes de productions canadiennes et américaines sont incroyablement intégrées, ce qui rend souvent compliquée la distinction de l’appartenance du produit.


Il faut se poser trois questions : le détaillant est-il canadien ? La marque est-elle canadienne ? Le produit est-il fabriqué au Canada ?


Est-il préférable d'acheter un sac de chips fabriqués au Canada dans une grande surface ou acheter un sac de chips importés dans votre magasin indépendant local ? Certaines listes « Achetez canadien » suggèrent de laisser tomber les marques américaines qui sont pourtant fabriquées au Canada ou d’arrêter de consommer un produit en provenance des États-Unis, comme le jus d’orange, qui pourtant peut être produit par une compagnie d’ici.  


L'une des bonnes façons de soutenir nos entreprises est de faire des achats localement. Bien entendu, une fois sur place, on recherche autant que possible les produits fabriqués au Québec et au Canada. Mais prenons garde à ne pas punir nos petits détaillants qui peuvent avoir des stocks importants de produits américains et qui peuvent être durement touchés. En effet, selon les données du Baromètre des affaires, le niveau de confiance des PME du secteur du détail est à son plus bas, à l’exception de l’année 2020.  De plus, en 2024, la diminution de la demande a été le principal frein à la croissance ou à la production pour 56 % d’entre elles. Vivre les impacts de cette guerre tarifaire pourrait en mettre certaines KO.
Les choisir fait toute la différence et aide notre économie. 


Nos achats locaux font rouler notre économie : chaque dollar dépensé dans une petite entreprise permet de garder 0,66 $ dans l’économie locale, comparativement à 0,11 $ dans une multinationale et 0,08 $ quand on achète chez le géant en ligne. 


Nos achats locaux renforcent nos petits commerces aux quatre coins du Québec et du pays :  72 % des PME québécoises, dont 81 % du secteur du détail, affirment que les ventes provenant de l’achat local sont essentielles pour la rentabilité de leur entreprise.  


Le pouvoir d’agir concrètement, chacun l’a en soi, tout le temps. En temps d’incertitudes économiques, comme en temps de prospérité.


Chacun a le pouvoir de favoriser les économies de nos régions, au détriment des grandes entreprises étrangères et des géants du web.


Acheter local, c’est faire partie d’une solution durable. 


Alors intégrons l’achat local durablement dans nos comportements de tous les jours. 

François Vincent, vice-président pour le Québec à la FCEI